jeudi 25 octobre 2012

Tutorat immersif, monde virtuel, Lan Pédagogique et invariants pédagogiques


Les analyses que nous menons dans ces colonnes nous donnent à observer ce qui se passe dans les autres équipes étudient les enjeux des espaces immersifs. Au mois de juin j'avais écouté la conférence de Samuelle Ducrocq Henri aux journées du e.learning organisées par Lyon 3 et la FDV (faculté de droit virtuelle).

Elle présentait  l'expérience menée avec un groupe d'étudiants pour apprendre à conduire. Un apprentissage instrumenté à l'aide du jeu vidéo GTA (grand Theft auto) de la société Rockstargame

Je laisse le lecteur visualiser les liens pour s'imprégner de la philosophie des scénarios de "Lan Party". J'aimerais évoquer dans ce billet, ce qui me semble être, l'émergence d'invariants du tutorat dans les mondes immersifs. Je souhaite (dé)montrer que les usages pédagogiques développés dans les mondes virtuels immersifs de type Second Life et ceux développés dans les jeux vidéos immersifs de type GTA sont soumis à des invariants pédagogiques.


Au-delà de la proximité visuelle des expériences il est nécessaire de sérier le champ d'analyse. Est-on sur le même terrain pédagogique ? Je propose de tenter de border l'espace conceptuel à la lumière de la grille de lecture que nous avons commencé à structurer.

Le jeux vidéo et le monde virtuel une définition commune (invariant conceptuel)
Nous avons commencé à ébaucher une définition pour ce que nous entendons par mondes virtuels. Nous nous appuyons sur les usages observés et les analyses conceptuelles de divers auteurs comme Antonio Casili et Marcello Vitali Rosatti.

Il en ressort que nous préférons utiliser le terme immersif au terme virtuel. Ce dernier nous paraît trop polysémique, entraînant dans son sillage des risques de confusion, voire de contresens.

Les jeux vidéos en réseau (soit par internet, soit par un réseau local) et les apprentissages instrumentés par la simulation dans les mondes virtuels semblent présenter des points communs :

  • Une communauté constituée autour d'un centre d'intérêt ;
  • Une interaction humaine qui s'exprime dans un environnement 3D spatialisé ;
  • Des interactions multiples entre les acteurs du dispositif ;
  • Un espace métaphorisé (la ville réduite résumée à ses lieux les plus emblématiques) ;
  • Une représentation avatarisée des apprenants ;
  • Une capacité de déplacement dans des lieux multiples pendant la phase d'apprentissage ;
  • Une possibilité de déplacement dans les trois dimensions (espaces terrestre, aquatique et aérien) ;
  • Une gestuelle complexe des avatars ;
  • Des interactions Hommes / Hommes ;
  • Des interactions Hommes / objets ;
  • Un scénario modulable et évolutif en temps réel.
Le(s) lieu(x) d'interaction (invariant spatial)


Le lieu physique d'accès au virtuel - "Lan party" Crédit photo SDH

Dans les scénarios de Lan Party et ceux des mondes virtuels les interactions se réalisent dans l'espace virtuel alors même que les individus sont physiquement présents dans un espace commun. Les deux photos ci-contre illustrent les similitudes entre l'expérience de conduite automobile instrumentée par le jeu vidéo et la simulation de médecine de catastrophe organisée par Laurent Gout à l'université de Toulouse (mai 2012).



Simulation de médecine de catastrophe - Crédit photo Laurent Gout (2012)
La différence notable est que Samuelle Ducrocq Henri observe les interactions dans le réel entre les acteurs du dispositif Lan party parce que la présence sur le même lieu est une des conditions de réalisation. Dans nos constructions nous avons envisagé la possibilité d'un public éclaté géographiquement mais réuni et interagissant dans l'espace immersif.

Les interactions "in the real life" et les "interactions inworld" (les invariants sociaux)

Dans un dispositif de jeu vidéo, l'apprenant est tributaire d'un scénario piloté par l'intelligence artificielle de la machine. C'est cette dernière qui conditionne les phases de jeu. Dans les dispositifs que nous évoquons ici, la part humaine prend le dessus.

Le monde que nous qualifions d'immersif à sa logique propre qui le différencie du monde réel. Dans l'immersif comme dans le réel les acteurs interagissent mais comme je l'ai indiqué précédemment l'immersion permet un grand nombre d'interactions de type :

 avatar / avatar - avatar / objet - avatar / environnement.

À la différence des interactions dans la vraie vie, les mondes immersifs augmentent les capacités relationnelles. Outre les relations sociales classiques (dialoguer, se saluer,écouter, exprimer ses sentiments...) il est aussi possible d'assister les apprenants à distance (au sol ou dans les airs), de suivre un apprenant dans une phase de déplacement / action ou de le suivre de façon rapprochée.

Dans les jeux vidéos immersifs, prenons le cas de GTA, il est possible de suivre l'apprenant dans une voiture, sur une moto, en hélicoptère ou de s'asseoir sur la banquette arrière.

Dans les deux cas de figure, les interactions sont dynamiques et par extension riches. Il appartient donc aux concepteurs des dispositifs de déterminer quelles seront les règles sociales qui vont prévaloir. Le scénario de Lan Party versus GTA est très intéressant de ce point de vue puisqu'il s'agit de respecter les règles du code de la route, là où le scénario initial consiste à s'inscrire dans une posture transgressive (passer au feu rouge, rouler très vite, prendre les sens interdits, percuter d'autres voitures, écraser les piétons, ne pas respecter les injonctions de la police....).

On comprendra tout l'enjeu du scénario sur les relations immersives. Dans les mondes virtuels on construit le scénario en bâtissant le monde, dans les jeux vidéos immersifs (Lan Party) on détourne le scénario initial.


Un besoin de tutorat (invariant tutoral)

Dans les deux modalités d'intervention en espace immersif l'objectif est orienté "game" plutôt que "play" ou, dit de façon autre, le jeu est au service d'un objectif d'apprentissage.

Un tutorat immersif, avec vue augmentée Crédit photo SDH


Dans les scénarios de Lan Pédagogique et ceux des mondes virtuels les interactions se réalisent dans l'espace immersif (ou virtuel) alors même que les individus sont physiquement présents dans un espace commun. Cet  apprentissage peut s'analyser à plusieurs niveaux :
  • L'auto apprentissage - L'apprenant est seul (ou en groupe) et il apprend
  • L'apprentissage en mode interactif - L'étudiant apprend sous la houlette d'un tuteur qui le chaperonne.
Dans les cas que nous évoquons ici le tutorat est central parce que le tuteur est aussi immergé dans le monde virtuel. Il interagit avec les apprenants à plusieurs moments :
  • Avant la séance de formation ;
  • Pendant la séance de formation ;
  • Après la séance de formation.  
 Dans le cas de la "Lan Party" comme dans le cas de la simulation de catastrophe les apprenants sont encadrés par des tuteurs immergés (que nous appelons avatuteurs). Ce nouveau type de tutorat nécessitera d'ajouter  aux compétences déjà isolées par Jacques Rodet d'autres plus spécifiques liées à l'existence de l'immersion :


  • Faut-il un ou plusieurs tuteurs ?
  • Faut-il limiter le tutorat dans l'espace immersif ?
  • Quelles sont les compétences de "jouabilité" du tuteur ?

Le tutorat en présentiel synchrone non immersif

Le tuteur et son élève - Crédit Photo SDH
La "Lan Party" telle que je l'ai compris à ce stade, me semble apporter un élément d'analyse supplémentaire par rapport aux simulations immersives. Le tutorat est pensé en immersion, après l'immersion et en mix réalité / immersion.

À ce jour nous avons peu abordé la question du tutorat post immersif puisque notre parti pris est la formation distante éclatée géographiquement. L'expérience de Laurent Gout en médecine de catastrophe démontre que la phase de "débriefing" est indispensable.Il est nécessaire d'expliquer aux apprenants quelle a été la montée en compétences, quels ont été les savoirs acquis et ceux qui ne le sont pas.

Dans les dispositifs de formation en mondes immersifs le débriefing peut s'effectuer aussi dans un espace immersif dédié ou en utilisant des outils de type forum, classe virtuelle ...

La lan party ajoute un invariant qui est la possibilité de mixer les modes de formation. Il est loisible de réunir des apprenants, des enseignants, des tuteurs dans un lieu signifiant mixte. Il offrira la possibilité de s'immerger dans le lieu de formation et de poursuivre une phase de tutorat dans le réel.




 Un immersif instrumenté dans le réel par des artefacts (invariant cognitif)

Les instruments des interactions (Les pédales) - Crédit photo SDH




Les instruments des interactions (Le volant) Crédit photo SDH





La vidéo de Samuelle Ducrocq Henri insiste par procédé du plan rapproché sur les outils utilisés pour la séance de jeu. Les stations de jeu sont équipées de volants et du kit de pédales de commandes.Les étudiants se retrouvent dans une situation cognitive proche de la réalité. Il n'est pas besoin de se former en amont aux manipulations parfois compliquées des mondes immersifs de type Second Life.Pour autant l'accès  au jeu vidéo ne supprime pas les contraintes d'ordre cognitifs. Les manettes de type Xbox supposent que les apprenants et les enseignants / tuteurs sachent maîtriser a minima un ensemble de commandes complexes pour gérer les gestes des avatars, leurs déplacements , les interactions, les déplacements des objets. La formation de générations "non digital native" suppose probablement de passer par une phase de formation au rapport instrument / actions dans l'espace immersif (je pars du postulat que ces dispositifs de formation s'adressent à un public large).Dans les mondes virtuels se sont des artefacts plus immatériels, comme les HUD (Head up display), les raccourcis claviers et les commandes des divers menus déroulants qui permettent d'agir sur le virtuel. Là encore le "ticket d'entrée" peut être onéreux pour certains acteurs. 


HUD d'un monde virtuel

Il me parait donc indispensable qu'en amont de toute formation de type immersif il y ait une montée en compétence des formateurs pour être apte à maîtriser les subtilités cognitives des artefacts de pilotage. A défaut de pris en compte de ces invariants c'est la surcharge cognitive qui menace et par extension un amoindrissement des effets de la formation.


Ces premiers éléments d'analyse méritent certainement une analyse plus poussée, gageons que la magie des réseaux nous permettra de pousser plus avant cette analyse.




















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Les supports à cette analyse


La vidéo mise en ligne par illustrine (haut du billet)
Les captations vidéos de la séance de simulation de médecine de catastrophe - Playlist youtube